Jean-Pierre Bacri

* 26/01/21 *

Je n’ai pas eu la pire des enfances mais on peut dire qu’à certains égards ce n’était pas la plus tranquille non plus.

Bon, rassurez-vous, ce n’est pas du tout le sujet de ce post, mais c’est clairement le contexte de l’époque, c’est-à-dire les 90s.

Vers 10 ans je subissais mon premier vrai électro-choc de cinéma devant « Les Canons de Navarone » que m’avait montré mon père. J’étais fasciné par ce que je venais de voir et je suis devenu un cinéphage frénétique: je démarrais fissa ma petite collection de films en VHS grâce aux enregistrements TV du dimanche soir (« 2 films sinon rien ! ») et du mardi soir (« le mardi c’est permis ! »). Parfois l’antenne hertzienne merdait pendant l’enregistrement à cause d’un orage à la con pendant la nuit, et je me retrouvais le lendemain avec une qualité d’image dégueulasse, bien blasé. Beaucoup plus rarement, j’étoffais ma collection avec quelques K7 flambant neuves achetées en magasin (en général la semaine qui suivait mon anniversaire, forcément).

Dans les années de collectionnite aiguë qui suivirent et malgré la surabondance de productions US bourrines, des films comme « Mes Meilleurs Copains », « Cuisine et Dépendances » et plus tard « Un Air de Famille » se firent une place de choix.

J’avais découvert Jean-Pierre Bacri en même temps que Steve McQueen et Al Pacino.

Abonné à « Première » (il n’y avait à l’époque pas d’autre moyen pour un petit provincial d’approcher un tout petit peu ce qu’était le cinéma « officiel »), j’avais ressorti mes anciens numéros et fouillé dans la section microscopique du magazine intitulée « Où leur écrire ? », dans l’espoir de trouver l’adresse de Jean-Pierre Bacri. Pas de google évidemment à cette époque-là, c’était donc ma seule chance.

Et voilà que je trouve une adresse, dans un des numéros: l’agent de Jean-Pierre Bacri, j’imagine.

J’ai donc pris ma fragile plume adolescente (certainement atroce, hein) et j’ai couché sur le papier ma passion pour les films. Je mentionnais également ma situation familiale plutôt pénible, sans aucun filtre. En gros, je lui expliquai maladroitement que les films – et donc les siens – m’aidaient tout connement à (mieux) vivre.

J’ai affranchi et posté ma lettre pour Bacri en sortant de chez moi le lendemain, puis suis allé en cours au lycée sans en parler à qui que ce soit: à mes yeux le geste était un peu ridicule et surtout vain.

Quelques mois après, une réponse me parvint. Je vous la soumets ici.
Ces quelques mots, écrits sur un bristol tout simple, ne m’ont jamais quitté depuis. « Le doute et la sensibilité »… Peut-on trouver meilleure formule ?
22 ans après je regarde toujours les films de Jean-Pierre Bacri, plusieurs fois par an, avec dans un coin de la tête le souvenir que cet incroyable acteur avait un jour lu ma petite lettre manuscrite, bancale et maladroite.
Il était à mes yeux le plus grand, depuis le début. Ni râleur, ni bougon, ni pantin, ni « bon client » sur les plateaux. J’emmerde tous ces qualificatifs minables – faut vraiment être le roi des cons pour ne pas voir que le cirque médiatique lui donnait la nausée encore plus qu’à nous spectateurs. Si on dépasse le cliché qu’on nous servait à chaque fois, on se rend vite compte que faire des films lui était aussi vital qu’en faire la promo lui paraissait mortifère. Il faisait parfois « son Bacri », oui, comme disent les bas-du-front qui n’attendent que ça de lui, mais nul besoin d’ergoter pendant des heures pour se rendre compte qu’il faisait ces quelques concessions contraint et forcé. Il finissait par leur donner à manger, histoire d’en finir au plus vite. Il revêtait alors sa tenue de clown triste et laissait les guignols du PAF se focaliser connement davantage sur le clown que sur le triste.

Ce qui le faisait chier avant tout, ce qui le déprimait, c’était tout simplement de faire semblant. Suffit de revoir « Cuisine et Dépendances » ou « Un air de famille » pour comprendre le mépris qu’il avait pour les artifices télévisuels.

« ‘J’suis un être humain, j’suis pas un animateur ! » dit Georges, son personnage dans « Cuisines et Dépendances », qui préfère se planquer en cuisine toute la soirée à fumer des clopes plutôt que d’aller faire des ronds de jambe pour la célébrité de la télé invitée dans le salon. La dépendance au « paraître » évoquée dans le titre du film, il n’en était clairement pas atteint, lui.

Je ne me suis pas exprimé la semaine dernière parce que c’est toujours un peu gênant ces nécros qu’on voit fleurir sur facebook – et je ne fais pas exception, qu’on soit bien d’accord: on fait la bio sélective du bonhomme, on verse ici et là quelques larmes virtuelles, sans se rendre compte que si le mec n’était pas mort, bah on n’en aurait pas causé. D’ailleurs on en causait pas avant, non plus. La plupart du temps, le défunt n’avait de toute façon rien fait de neuf depuis 15 ou 20 ans.

Mais pas Bacri, nan. Il ne s’est jamais arrêté de tourner, son âme dédiée à son art et son mépris toujours pointé vers le petit écran et l’hypocrisie en général. Il m’avait à nouveau brisé le coeur en 2015 dans « La vie très privée de Monsieur Sim », un bijou, avec ce personnage d’homme usé et plus du tout en phase avec son époque, cherchant juste un peu de sérénité pendant qu’on lui demande de « faire ses preuves » à 60 ans dans une start-up high-tech ridicule. Perdu sur les routes de campagne au volant d’une bagnole rutilante équipée d’un GPS dernier cri qu’il arrive difficilement à utiliser, ce VRP malgré lui commence tout doucement à sombrer dans la folie.

Alors voilà, le gosse de 16 ans comme l’adulte de 38 ont exceptionnellement pleuré ensemble pour de vrai, la semaine dernière, et c’était l’occasion ou jamais, pour une fois, de mettre la pudeur de côté, de faire un peu dans la sensiblerie et surtout partager ce petit bout de carton portant les quelques mots que Jean-Pierre Bacri avait pris le temps de m’écrire.

Y’avait pas que du bon, dans sa carrière, faut être honnête.

Mais putain quand c’était bon, c’était mieux que tout le reste.

Merci, Monsieur.

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