Mariage

Si James Bond est un éternel célibataire aux moeurs très Weinsteinienne d’un autre temps (?) peu enclin à départir de son indécrottable satyriasis, la franchise nous a tout de même proposé quelques séquences de mariage, que ce soit le sien ou celui de ses potes et, ô surprise, ça ne se passe jamais très bien.

Dans « On ne vit que deux fois » (1967), l’intrigue prétexte sans aucune hésitation que pour les besoins de sa mission, James doit devenir… japonais. Physiquement, des sourcils touffus, un kimono et une démarche voûtée semblent suffire, nous apprend le film. Socialement, son assimilation nippone complète nécessite d’épouser une femme du cru. 007 ne manquera pas d’élégamment marquer sa déception sur l’aspect physique de celle qui lui est imposée, comme il ne manquera pas non plus de découcher dès le premier soir avec celle qu’il aurait préféré épouser en premier lieu – ce qui coutera indirectement la vie à l’amante, au passage -.

Dans le mésestimé « Au Service Secret de sa Majesté » (1969) réalisé par Peter Hunt, film depuis réhabilité comme un des plus réussis de la franchise, James Bond se marie VRAIMENT, cette fois. Un excellent épisode parfois un peu oublié, peut-être à cause d’une intrigue assez étrange mélangeant propagation de virus à l’échelle du Globe (tiens donc !), génétique à base de lobes d’oreille (collés ? pas collés ?) et clinique de haute montagne peuplée de nymphomanes sous hypnose, le tout dans une atmosphère parfois franchement flower power qui sent un peu la fin de bédo.
Le mannequin australien George Lazenby n’y aura finalement été pour les producteurs que l’homme de la transition entre un Sean Connery en mode blasé déjà palpable dans « On ne vit que 2 fois » et un Roger Moore pas encore impliqué parce qu’occupé par sa carrière télévisuelle (« Le Saint » puis « Amicalement vôtre »). Lazenby fera pourtant un excellent Bond, plus doux, plus sensible et un peu moins macho (j’ai dit « un peu »). L’acteur, lui, sembla peu charmé par la grosse machine hollywoodienne dans laquelle il avait mis le pied et claquera la porte du bureau de M sans faire de deuxième film, tout comme le réalisateur Peter Hunt qui avait pourtant accompli un travail remarquable. À sa suite et en dernière minute, Sean Connery rempilera une dernière fois pour Albert R. Broccoli avec « Les Diamants sont éternels » en 1971 – moyennant une évidente persuasion pécuniaire – où l’absence totale d’implication du bonhomme se sent aussi fort qu’un plat de caviar accompagné de Don Pérignon 1953.

Dans « Au service secret de sa Majesté », donc, Bond lutte à nouveau contre l’infâme, odieux et chauve Blofeld (ici incarné par Telly Savalas, récemment sorti des 12 Salopards de Robert Aldrich où il a su être délicieusement immonde) et y rencontre Tracy di Vincenzo, incarnée par la sublime Diana Rigg – sans bottes de cuir cette fois -. Leur histoire d’amour commence comme un pacte aussi professionnel que misogyne entre 007 et le père de la demoiselle mais devient au cours du film une des plus douces et touchantes rencontres qu’on ait pu voir dans la saga, culminant lors cette escapade dans les Alpes suisses où le couple se retrouve caché dans une chaleureuse grange le temps d’une nuit pendant laquelle James demande sa main à la Comtesse.

Ils se marient donc à la fin du film au Portugal sous un parfait ciel bleu, avec dans le public invité un Q de bonne humeur et une Moneypenny les larmes aux yeux de voir l’objet de ses fantasmes partir, il semblerait, pour de bon. S’ensuit une des lunes de miel les plus courtes de l’Histoire du cinéma puisque ce satané, ce vicelard, ce tordu et capillo-déficient de Blofeld réapparaitra pour une fin tragique, chose exceptionnelle dans la franchise, en tout cas dans sa période pré-Daniel Craig. Malgré la brutalité de la scène, qui semble quitter quelques minutes tout ce qui faisait l’univers enlevé et léger de James Bond dans les 5 films précédents, il fut demandé à Lazenby de modérer son jeu dramatique car Bond « ne pleure pas ». Frustration pour l’acteur qui voulait mettre toute l’émotion possible dans LA scène qui semblait lui donner un peu de liberté dans cet univers sur-calibré. On aura tout de même droit à une réplique réellement tragique en guise d’épilogue et à ce plan du pare-brise détruit. Suit un long silence pendant le générique et un « James Bond reviendra » des plus sinistres.

À noter qu’il est très maladroitement fait allusion à la défunte épouse de Bond au début de « Rien que pour vos yeux » (1981), où l’on voit l’agent déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Tracy juste avant qu’il ne dégomme une fois pour toutes le repoussant, cruel et tête-d’oeuf Blofeld dans une scène en hélicoptère qui ridiculise malheureusement à outrance celui qui est censé être le vilain le plus dangereux et craint de l’univers de Bond. Une étrange façon de rappeler le passé sombre du personnage malgré les cartoonesques opus précédents de l’ère Moore, tout en l’évacuant avec un esprit rigolard peu respectueux.

James n’est pas le seul à être contraint par le destin lorsqu’il s’agit de mariage. Son ami de la CIA de longue date Félix Leiter (déjà présent dans Dr. No en 1962) passe la bague au doigt au début de « Permis de tuer » (1989) et n’aura lui même pas droit à une lune de miel puisque le dégueulasse narco-trafiquant Sanchez (Robert Davi), au visage à peu près aussi marqué que le sol lunaire, donnera les guibolles de l’heureux marié en pâture à des requins, lançant la traque vengeresse de ce James Bond brutal. Le lourd passé de Bond est d’ailleurs rapidement rappelé par Félix: « He was married once. But it was a long time ago. »

Dans les épisodes suivants, on pourrait supposer que si Vesper Lynd avait survécu à « Casino Royale » (2006), James aurait été bien tenté d’en faire sa moitié.

Les autres mariages visibles dans la saga sont plus anecdotiques et servent davantage de gag lors de poursuites, comme dans « Vivre et laisser mourir » (1973) et son mariage finement saboté à coups de hors-bords.

Des fuites ont lancé la rumeur que James Bond serait marié à Léa Seydoux (rencontrée dans le douloureux « Spectre ») dans le 25ème opus « Mourir peut attendre » dont la sortie est maintenant repoussée à novembre 2020 pour cause de coronavirus (qui est certainement un coup du terrifiant, de l’implacable, de l’immortel et alopécique Ernst Stavro – c’est ma théorie personnelle -).